Les risques de fraudes et la gestion des conflits d’intérêt autour des entreprises

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Les conflits d’intérêts affectent tous les secteurs ; le secteur entrepreneurial étant, pour sa part particulièrement touché. Ces conflits n’entraînent pas la même aversion que ceux relevant du secteur public, mais ils présentent une grande nocivité en termes de chiffre d’affaires comme d’image. Un  grand nombre d’entreprises les ont ainsi inscrits en bonne place dans leurs codes de déontologie. Ces derniers exigent un comportement impartial et de bonne foi et récusent toutes les pratiques déloyales et malhonnêtes telles que : manipulations, fausses déclarations, menaces, fraudes, abus. Ils  proscrivent la diffusion de toute information confidentielle. Ce qui est exigé avant tout des  collaborateurs, dirigeants et administrateurs, c’est la loyauté. L’un des risques les plus élevés en cas de mandats croisés est la tendance à privilégier la défense des mandats d’origine, plus que celle des actionnaires de la société administréel. La promulgation de la loi Sarbanes-Oxley (SOX) et de la loi sur la sécurité financière ont exigé l’installation d’un contrôle interne performant dont une bonne part se réfère aux conflits d’intérêts. 

 Les célébrissimes montages de l’entreprise Enron, de Wolrdcom ou encore de Parmalat autour de l’an 2000, ont permis de mettre au jour une multitude de manipulations liées à ces conflits. Le  processus législatif s’appuie sur la mise en place d’un contrôle interne dans un grand nombre  d’entreprises.

C’est pourquoi doivent être particulièrement surveillés : le délit d’initié, le fait de favoriser des  proches ou certaines entités, le problème des cadeaux et invitations, les rapports avec les clients et les fournisseurs. L’administrateur doit avoir des rapports loyaux et honnêtes en respectant les contrats souscrits, les lois et les règlements.

Les jurisprudences récentes formalisent le concept de conflit d’intérêts. L’intérêt social exprime le fait que la société doit être constituée avec un objet licite et dans l’intérêt commun des associés, suivant les termes de l’article 1833 du Code Civil. L’intérêt social est celui de l’entreprise composée de ses différents membres. Cette notion assez floue d’essence interprétative génère une obligation pour les administrateurs de faire primer l’intérêt social sur leurs intérêts éventuels.
Les administrateurs conseillent, surveillent, nomment et éventuellement révoquent l’équipe dirigeante, pour ce faire ils doivent être avertis de l’existence des grands projets, de la manière dont ils évoluent et de leur pertinence. Leur situation laisse accroire que les affaires se traitent entre soi et qu’il n’y a pas de place pour une concurrence libre.

Les conflits d’intérêts dans le secteur entrepreneurial au sens large sont nombreux. Ils sont dus pour la plupart à la « pression », dont CRESSEY à été l’un des premiers à analyser l’impact sur les fraudes. Cette pression est particulièrement prégnante dans la chasse aux résultats, en particulier lorsqu’ils sont accompagnés de bonus répercutés sur l’ensemble des strates hiérarchiques ; elle l’est aussi du fait de l’exigence de rapidité dans l’exécution des contrôles et de la limitation des budgets affectés aux contrôles. Elle est forte aussi lorsqu’elle est due au biais générés par l’égo des « sachants». Je m’en tiendrai simplement à quelques exemples de situations particulièrement risquées.

Le conflit est présent, chaque fois qu’une entente directe ou indirecte, affichée ou camouflée, existe entre le contrôleur et le contrôlé, le fournisseur et l’intermédiaire, le client et le fournisseur dans le but de privilégier le chiffre d’affaires au dépens de la déontologie. La présentation des comptes  constitue le premier support de conflit. Une confusion des genres peut exister entre les lobbyistes, le législateur ou la norme. La pression lobbyiste pousse le législateur, ou celui qui est chargé de la régulation, à accepter ou à valider sans broncher des techniques2 permettant aux entreprises de ne pas présenter une vision très exacte des comptes. Ainsi, des « Special Purpose Entities »3 (SPE)  permettent toujours de faire disparaître presque légalement des comptes certains actifs pourris, les instruments de type « REPO »4 et l’utilisation de dérivés hors comptabilité permettent de ne donner qu’une lecture approximative voire falsifiée des dettes contractées. Les éléments autonettoyants, tels les déficits d’inventaire, ou la démarque inconnue créent réellement des opportunités de  détournement.

La sincérité des comptes est directement affectée par la nécessité de poursuivre les affaires, et le camouflage des fraudes par des montages complexes est simplement lié à la conception de l’éthique personnelle du décideur. Les cabinets de contrôle et de conseils peuvent aussi se placer en situation de conflit. Arthur Andersen entraîné par la faillite d’Enron en est mort, Parmalat a failli expédier « ad patres » un autre cabinet un peu moins célèbre, un troisième « grand » a été récemment mis en cause au titre d’une absence de révélation du camouflage de ses dettes par la banque Lehman-Brothers. Cette dernière aurait camouflé 51 milliards de dollars de pertes par une manipulation technique. Tout dernièrement la SEC a encore condamné l’un d’entre eux à une pénalité de 7,5 millions de dollars pour ne pas avoir assuré les diligences minimales dans le contrôle d’une société  ndienne, la fraude s’élèverait à un milliard de dollars ; il s’agirait en grande partie de fausses factures et de falsification de données bancaires. Ces cabinets ont pu donc, à un moment ou à un autre, faillir dans leur activité de contrôle en n’identifiant pas des manipulations des comptes parfois primaires ou des habillages de bilan (opérations de « windows dressing »).

Cette carence de contrôle facilite la transmission d’informations approximatives, des informations essentielles ne sont pas transmises à tous les dirigeants et à la « régulation », certains rapports peuvent manquer d’objectivité. Il faut faire en sorte que ce risque ponctuel mais réalisé par des sachants reste marginal, et confiné à des situations incontournables (liens particuliers, situations de « bulle », etc.) qui sont par ailleurs poursuivies. Ces compromissions peuvent être commises dans le but de préserver le chiffre d’affaires, en termes mouchetés on qualifie cela de « poursuite d’une logique industrielle ». À titre individuel, caresser l’espoir ou préparer un pantouflage profitable à la sortie du cabinet. La concentration  desgrands cabinets de contrôle génère un risque identique à celui pointé pour les agences. Désormais leur faible nombre (certes la séparation des activités de conseil et de contrôle est établie) peut créer une régression de la concurrence et une inévitable perte d’indépendance.

Par ailleurs, l’ingénierie financière évolue vers des produits de plus en plus complexes dont le contrôle est subtil et qui consomme beaucoup de temps alors que les mandats restent, eux, limités en temps et en valeur. Un conflit, finalement assez proche du pantouflage, peut se poser aussi lors de l’embauche d’anciens salariés du cabinet qui vérifiaient ses comptes chez le contrôlé. La société Enron avait ainsi construit son environnement de contrôle autour d’anciens membres du cabinet Arthur Andersen qui l’auditaient, cela fluidifiait sans aucun doute les rapports entre contrôleurs et contrôlé ! Le conflit d’intérêt existe aussi dans l’expertise. Ces derniers, mandatés pour étudier et analyser des situations eu égard à leur capacité technique, peuvent garantir leur propre chiffre d’affaires à venir en apportant les réponses qui conviennent le mieux au client. Il existe une multitude de catégories d’experts, depuis l’informaticien, le formateur ou le technicien chevronné, jusqu’à « l’expert en tout », vibrionnant autour des conseils des entreprises importantes auprès desquels le problème peut se poser. Quant à la gestion des entreprises elles-mêmes, les conflits existent évidemment entre commerciaux et clients, entre acheteurs et fournisseurs ou lors d’opérations particulières avec des intermédiaires et des courtiers. Ces conflits se matérialisent par un engagement de dépense plus élevé que ce qu’il eût été souhaitable, par des produits de qualité moindre à ce que l’on aurait pu attendre ou par des pertes de brevets. La différence ou l’opportunité offerte est récupérée par le salarié qui encaisse des versements illégitimes, des cadeaux ou des prébendes : il s’agit simplement de corruption qui est poursuivie depuis 2005 par les articles 445-1 et 445-2 du Code Pénal.

Il convient maintenant de développer l’un des plus importants délits d'initiés jamais rencontré qui est actuellement jugé à New York. Il recouvre selon moi la quintessence des manipulations possibles dans ce domaine : l’ensemble des montages utilisables dans le cas de conflits de ce type5 y sont  présents. En fait, au regard du conflit d’intérêt la décision fera date car il fixera la distinction, dans la mosaïque d’informations utilisables pour jouer en bourse, entre celles qui relèvent de sources ouvertes et de la spéculation (journaux et analyses) et celles puisées directement à la source, partant infiniment plus pertinentes.

Cette affaire semble donc être appelée à une grande publicité, elle est la plus marquante depuis la chute de Michael Milken et Ivan Boesky à la fin des années 1980 et affecte un fond d’investissement non coté à valeur spéculative.

Le patron du « hedge fund » Galleon, l’un des financiers les plus en vue de Wall Street est accusé  d’avoir bénéficié d’informations illégales lui ayant permis de réaliser 45 millions de dollars de gains; les « tuyaux » obtenus seraient illicites. Avidité, cercles fermés d’informateurs, asymétrie  d’informations, le fait que dans certains pays de monnayer des informations par des administrateurs serait considéré comme « acceptable »6 et surtout le sentiment d’être au-dessus des lois explique ces comportements. L’affaire a été déclenchée par une recherche portant sur des fonds terroristes ce qui explique la méthode utilisée.

L’accusation s’appuie sur 173 enregistrements de conversations téléphoniques correspondants à des milliers d’heures d’écoute et sur les témoignages d’autres inculpés (19 sur 30) qui ont choisi de  plaider coupable ; certains ont même commencé à purger leur peine. Les autorités ont précisé que les mouvements d’actions litigieux portaient notamment sur des titres des hôtels Hilton, de Google, AMD, Sun Microsystems, Clearwire et Akamai, entre 2006 et 2009. Les gains illégalement réalisés excéderaient les 45 millions de dollars. Plusieurs très hauts cadres de grands groupes informatiques et une agence auraient laissé fuiter des informations, un certain nombre de fonds ont aussi été mis en cause à cette occasion. Tous sont soupçonnés d’avoir illégalement échangé des informations  financières confidentielles, l’escroquerie aurait duré 3 ans. Il ne manquait à ce thriller qu’une pincée de sexe, elle est présente car des « confidences » auraient aussi été échangées sur l’oreiller. Le fait  marquant tient évidemment à la qualité des acteurs soupçonnés. Un ancien « CEO » du prestigieux  cabinet de conseil McKinsey et actuellement membre du conseil d’administration de Goldman Sachs et de Procter & Gamble, est visé depuis le 1er mars par une plainte déposée au civil par les autorités boursières. Il lui est reproché d’avoir personnellement transmis des informations confidentielles alors que le fonds de Warren Buffett, via sa holding financière Berkshire Hataway allait injecter 5 milliards de dollars dans Goldman Sachs. La politique de confidentialité qui s’impose à tous les administrateurs de la banque a donc été violée.

Le ministère public reproche au gérant du fonds Galleon d’avoir utilisé « des informations volées » sur des nombreuses sociétés pour engranger illégalement 45 millions de dollars de profits. Les écoutes révèlent par ailleurs des conversations au cours desquelles un ancien dirigeant d’Intel,  lui-même inculpé pour fraude et ayant plaidé coupable a transmis des détails troublants sur l’opération au  gérant du fonds. Pour l’avocat général, c’est un exemple flagrant de délit d’initié, qui a permis de spéculer en Bourse avant tout le monde. Le cas n’est pas unique, une opération identique très récente (mars 2011) affecte le fonds « Berkshire Hathaway » à propos d’une succession d’achats d’actions (6,7 millions d’euros) d’une société effectuée par le plus proche collaborateur de Warren Buffet alors qu’il menait les négociations pour l’acheter. La revente a eu lieu dès après l’acquisition avec une plus value de 3 millions de dollars. Ces sommes peuvent apparaître faibles au regard des bonus personnels de la personne en cause, mais la dérive affecte un fonds reconnu pour ses investissements à long terme et son éthique ce qui en termes d’image est mortel. L’intéressé a démissionné ou a été démis, et la SEC devrait ouvrir incessamment une enquête.

Ces comportements qui semblent fréquents peuvent créer d’incommensurables problèmes aux sociétés dont les hauts cadres se comportent de cette  manière. Pour McKinsey par exemple, qui a bâti toute sa réputation sur le respect de la déontologie et de l’éthique cette affaire peut être dommageable d’autant plus que plusieurs autres membres de la structure auraient été condamnés après voir plaidé coupable. Le fonds Berkshire Hataway, ne peut pas se permettre de perdre la moindre parcelle de sa réputation. Reuters a d’ailleurs présenté l’«  anatomie d’un scandale de délits d’initiés » en se basant sur des sources provenant de l’attorney du district de New York qui est particulièrement parlante car elle décortique deux typologies de montages différentes. Il reprend deux opérations (Hilton et Akamai) et en décline les manipulations de la manière suivante :
1- Le détenteur de l’information (insider) En juillet 2007, un analyste de Moody’s avise un partenaire inconnu que Hilton va faire l’objet d’une opération intéressante. En juillet 2008, un cadre de Akamai
avise Daniele Chiesy, du New castle fund, que Akamai va annoncer un résultat en baisse.
2- L’intermédiaire (Go between) Il transmet l’information à Galleon en précisant que l’opération est  certaine, Daniele Chiesy avertit le fonds de se préparer à vendre, à découvert, cette valeur. 
3- Le manager du hedge fund Galleon achète des centaines de millions d’actions « Hilton » et  engrange 4 millions de dollars. Galleon remercie Daniele Chiesy, le New castle fund couvre sa position courte et engrange 4 millions de dollars.
Le président du fonds Galleon a été condamné le 11 mai ; cette sanction est essentielle car elle déclare illégitimes les pratiques d’échanges de données et de courtages portant sur des informations
d’initié ainsi que sur la méthode d’investigation qui est directement issue des pratiques anti mafias.
Finalement c’est le principe de la « muraille de Chine » qui s’effondre ; plusieurs faits l’expliquent :
• les intervenants sont multiples dans ce secteur, la nature des informations sur lesquelles les analyses sont effectuées, sont essentielles et elles peuvent avoir un impact très fort sur les placements ;
• les divers prestataires disposant d’une technicité similaire ne présentent pas une cohérence éthique uniforme et l’attrait de gains rapides provenant de la rémunération de ces informations, ou des  placements directs qui peuvent être réalisés à cet égard poussent au crime ;
• la réalisation de la preuve de ces comportements criminels est très difficile à faire car on constate qu’aucune information illégale n’est transmise par mail ou par des voies classiques trop risquées ; le téléphone n’est plus utilisé que pour prendre des rendez-vous physiques ; les pratiques des criminels
sont utilisées.
Noël Pons
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